Décret Crémieux (1870)

  • Par M. Salim Saadi
  • 16-06-2021

Discriminée sous la Régence, la communauté juive algérienne accueille d'un bon œil la nouvelle souveraineté française. Lors de sa visite en Algérie en mai 1865, à peine quelques mois avant la promulgation du sénatus-consulte de 1865 déclarant les Algériens musulmans et juifs sujets français, Napoléon III reçoit une pétition signée par plus de 10 000 Juifs autochtones demandant leur « naturalisation collective »30. De même, de manière constante, entre 1865 à 1869, les Conseils généraux des départements algériens émettent le vœu de la naturalisation de ces derniers30. Parmi les sujets demandant l'accès au droit de cité, ils sont les plus nombreux.

Le 24 octobre 1870, se basant sur un projet élaboré dans les dernières années du Second Empire32Adolphe Crémieux, président de l’Alliance israélite universelle et ministre de la Justice du gouvernement de la Défense nationale formé après la défaite de Sedan, promulgue (avec l'accord de Mac Mahon) une série de sept décrets sur l'Algérie, dont le plus notable est le no 136, dit depuis décret Crémieux, « qui déclare citoyens français les Israélites indigènes de l'Algérie ».

Par l'effet de ce décret, les Juifs indigènes accèdent à la citoyenneté française : ils perdent leur statut personnel mosaïque et sont obligatoirement soumis au droit civil commun15. (Certains historiens, plutôt que de parler de « naturalisation » des Juifs d'Algérie, mesure par principe individuelle, préfèrent qualifier le décret Crémieux, en raison de ses effets collectifs, de décret de « nationalisation »33 ou de « transmutation ».)

Souvent présenté comme le « symbole de l’œuvre émancipatrice et républicaine française », le décret Crémieux n'en a pas moins suscité — et pour longtemps — une vive opposition, tant chez les militaires, les administrateurs et les colons que chez les Juifs algériens, attachés à leur statut personnel, mais aussi satisfaits de cette assimilation qui met un terme définitif à l'état d'infériorité dans lequel ils vivaient auparavant. En tout état de cause, cette naturalisation a pour effet immédiat d'enrichir la population française d'Algérie (qui compte alors environ 90 000 personnes) de 35 000 nouveaux citoyens à la fidélité assurée.

L'opposition au décret Crémieux s'exacerbe après les élections législatives du 9 juillet 1871, les Juifs étant accusés d'avoir « mal voté », et l'abrogation du décret est proposée par le gouvernement Thiers le 21 juillet 1871. Fruit des négociations entre Adolphe Crémieux et de l'amiral de Gueydon (gouverneur civil de l'Algérie en poste), un décret d'interprétation est pris le 7 octobre 1871 par le ministre de l’Intérieur Félix Lambrecht. Le décret Crémieux est maintenu, mais sa portée est limitée aux seuls indigènes israélites pouvant établir posséder une origine algérienne antérieure à la conquête française : ils doivent pour cela apporter la preuve soit d'être nés en Algérie avant la conquête, soit d'être nés de parents eux-mêmes nés en Algérie avant 1830. Ce décret a plusieurs conséquences : il empêche les Juifs qui ne parviennent pas à fournir les documents requis, notamment un document d'état civil ou à défaut un acte de notoriété attesté par sept témoins, de s'inscrire sur les listes électorales ou de participer aux élections ; il met à l'écart les Juifs marocains ou tunisiens ; il servira également à maintenir dans le statut d'indigènes les Juifs des territoires sahariens qui ne sont conquis que bien plus tard (notamment le M'zab).

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