Discriminée
sous la Régence, la communauté juive algérienne accueille d'un bon œil la
nouvelle souveraineté française. Lors de sa visite en Algérie en mai 1865, à
peine quelques mois avant la promulgation du sénatus-consulte de 1865 déclarant
les Algériens musulmans et juifs sujets français, Napoléon III reçoit une pétition signée par plus de
10 000 Juifs autochtones demandant leur « naturalisation
collective »30. De même, de manière constante, entre 1865 à 1869,
les Conseils généraux des départements algériens émettent le vœu de la naturalisation
de ces derniers30. Parmi les sujets demandant l'accès au droit de cité, ils sont les plus nombreux.
Le 24 octobre 1870, se basant sur un projet élaboré dans
les dernières années du Second Empire32, Adolphe Crémieux,
président de l’Alliance israélite universelle et
ministre de la Justice du gouvernement de la Défense nationale formé
après la défaite de Sedan,
promulgue (avec l'accord de Mac Mahon) une série de
sept décrets sur l'Algérie, dont le plus notable est le no 136,
dit depuis décret Crémieux,
« qui déclare citoyens français les Israélites indigènes de
l'Algérie ».
Par l'effet de ce décret, les Juifs indigènes accèdent à
la citoyenneté française : ils perdent leur statut personnel mosaïque et
sont obligatoirement soumis au droit civil commun15. (Certains historiens, plutôt que de parler de
« naturalisation » des Juifs d'Algérie, mesure par principe
individuelle, préfèrent qualifier le décret Crémieux, en raison de ses effets
collectifs, de décret de « nationalisation »33 ou de « transmutation ».)
Souvent présenté comme le « symbole de l’œuvre
émancipatrice et républicaine française », le décret Crémieux n'en a pas
moins suscité — et pour longtemps — une vive opposition, tant chez les
militaires, les administrateurs et les colons que chez les Juifs algériens,
attachés à leur statut personnel, mais aussi satisfaits de cette assimilation
qui met un terme définitif à l'état d'infériorité dans lequel ils vivaient
auparavant. En tout état de cause, cette naturalisation a pour effet immédiat
d'enrichir la population française d'Algérie (qui compte alors environ
90 000 personnes) de 35 000 nouveaux citoyens à la fidélité assurée.
L'opposition au décret Crémieux s'exacerbe après les
élections législatives du 9 juillet 1871, les Juifs étant accusés d'avoir
« mal voté », et l'abrogation du décret est proposée par le gouvernement Thiers le
21 juillet 1871. Fruit des négociations entre Adolphe Crémieux et de l'amiral de Gueydon (gouverneur civil de l'Algérie en
poste), un décret d'interprétation est pris le 7 octobre 1871 par le ministre
de l’Intérieur Félix Lambrecht. Le décret
Crémieux est maintenu, mais sa portée est limitée aux seuls indigènes
israélites pouvant établir posséder une origine algérienne antérieure à la
conquête française : ils doivent pour cela apporter la preuve soit d'être
nés en Algérie avant la conquête, soit d'être nés de parents eux-mêmes nés en
Algérie avant 1830. Ce décret a plusieurs conséquences : il empêche les
Juifs qui ne parviennent pas à fournir les documents requis, notamment un
document d'état civil ou à défaut un acte de notoriété attesté par sept
témoins, de s'inscrire sur les listes électorales ou de participer aux
élections ; il met à l'écart les Juifs marocains ou tunisiens ; il
servira également à maintenir dans le statut d'indigènes les Juifs des
territoires sahariens qui ne sont conquis que bien plus tard (notamment
le M'zab).
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